Interview de Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC, par Julien Tricard, président du médiaClub’Green

Leslie Thomas, Secrétaire général du CNC 

Leslie Thomas est secrétaire générale du CNC. A ce titre, c’est elle qui est responsable de toute la stratégie RSE de l’établissement, et c’est elle qui a piloté les travaux qui ont permis d’aboutir au “Plan Action !”

A l’aube de l’arrivée d’une nouvelle norme d’éco-production, qui devrait avoir un effet d’entraînement significatif sur l’ensemble du secteur, nous faisons le point avec elle.

 
MCG : 
Comment fonctionne le Secrétariat général du CNC, et quelle place y occupent les questions sociales et environnementales ? 
 
LT :
Le Secrétariat général traite classiquement du fonctionnement général du CNC avec la politique RH, le dialogue social, la gestion du parc immobilier, les RCPA, les services généraux et l’inspection. Au total, nous sommes une centaine d’agents qui couvrons tous ces champs.
 
La RSE est devenue incontournable et le choix a été fait en interne de confier au Secrétariat Général le pilotage des politiques publiques dans ce domaine. Cela recouvre les sujets concernant aussi bien les questions de parité, de lutte contre les VHSS (Violences et harcèlement sexuels et sexistes au travail), l’inclusion et le développement durable. 
 
Concernant le Développement Durable, on a déployé le « Plan Action ! » à partir de 2021.
 
Il y une petite équipe fixe dédiée, composée de moi-même, de la Secrétaire générale adjointe, Agnès Toullieux, d’une chargée de mission dédiée, Elodie Raspail, d’un alternant, Simon Mazurel, et d’un stagiaire, Hugo Lasry. Yasmina Lopez, assistante de direction, vient compléter ce collectif de travail.
Sur tous les sujets, nous fonctionnons en mode projet : à l’équipe dédiée s’ajoute d’autres parties prenantes que sont la direction de la communication, la direction des études, celle du numérique, le service de l’attractivité, etc. mobilisés en fonction des sujets et des enjeux. Une réunion hebdomadaire nous permet d’avancer sur l’ensemble des problématiques. Par exemple, sur la question de l’exploitation cinématographique, l’équipe RSE va dialoguer avec la direction du cinéma, la FNCF, des associations représentants des exploitants, etc., ce qui nous permet de nous approprier les différents sujets.
Par cohérence, on applique les mêmes démarches en interne : que ce soit sur les déchets, la consommation énergétique, la gestion durable des bâtiments, les mobilités, etc 
 
MCG : 
Que va changer la Norme AFNOR SPEC sur la RSE pour la production cinématographique, audiovisuelle et publicitaire ? 
 
LT : 
Pour mémoire, la construction de cette norme est pilotée conjointement par le CNC, la DGMIC (ministère de la culture) et l’AFNOR, avec l’accompagnement de deux entités expertes sur la question, que sont Flying Secoya et Ecoprod. 
 
En termes d’ambition environnementale, il est nécessaire de viser plus haut que la simple comptabilité carbone, et de s’adresser aux professionnels au-delà de la seule production aidée (documentaire, fiction en cinéma et télévision). On s’est donc engagé dans cette démarche de co-rédaction de la norme avec les partenaires sociaux et nos deux experts. Cette co-construction est essentielle.
 
Il faut rappeler que cette norme sera d’application volontaire et gratuite. Elle constitue un vrai mode d’emploi pour les professionnels qui veulent s’engager dans une démarche de production durable et responsable et comportera trois niveaux d’engagement. Cela devrait permettre une vraie progressivité dans l’engagement de chacun. Mais je dois aussi souligner que même si ce référentiel sera utilisé sur la base du volontariat, c’est le marché lui-même qui devrait se charger de le rendre incontournable pour les structures concernées. Nous manquons d’outils pour aider les professionnels à mieux produire, le référentiel en est un qui les y aidera. En outre, il s’inscrit en cohérence avec de nouvelles obligations règlementaires. En effet, la CSRD (directive européenne sur la soutenabilité des entreprises) concerne d’ores et déjà les 50.000 entreprises en Europe comptant plus de 250 salariés. Ces entreprises, dont font évidemment partie les grands groupes audiovisuels, doivent désormais rendre des bilans extra-financiers, qui font état de leurs actions en matière de RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale). Par exemple, une chaîne de TV va devoir renseigner l’impact de sa grille, une plateforme celui de son catalogue. Elles vont donc mécaniquement demander à leurs fournisseurs, dont les producteurs, de répondre à un certain nombre de critères. Le référentiel produire durable et responsable répond à plusieurs de ces critères.
 
MCG : 
Comment le CNC intervient-il pour faciliter l’adoption de la norme par les professionnels ? 
 
LT : 
Tout d’abord, nous allons présenter cette norme aux professionnels à compter du mois de mai prochain. Nous sommes encore en phase de co-rédaction du référentiel avec l’ensemble des parties prenantes qui ont toutes beaucoup travaillé. L’AFNOR élabore, par ailleurs, un tableau d’équivalences de cette norme avec les critères fixés dans le cadre de la CSRD. Ce qui permettra à l’outil d’être véritablement au service des entreprises et des professionnels. 
 
MCG : 
Est-ce que ça va avoir un effet sur les contenus ? 
 
LT : 
Au nom de la liberté de création, le CNC n’a pas à s’immiscer dans le contenu des œuvres à la différence de certains commanditaires qui ont, eux, la possibilité d’orienter et de favoriser l’émergence par exemple de films dit à impact. Cependant, nous pouvons constater que de plus en plus d’auteurs, de réalisateurs ou de producteurs ont à coeur de porter des sujets, des récits qui intègrent les enjeux environnementaux. Cette tendance est significative d’autant qu’elle répond aux engagements citoyens d’un nombre de plus en plus importants de professionnels. On connait enfin l’impact des œuvres sur les imaginaires collectifs.
Notre engagement dans la norme Afnor Spec RSE respecte ces principes de neutralité du CNC, nous agissons à l’endroit des conditions de production des œuvres, pas de leur contenu.
D’ailleurs, la CSRD ne fixe pas d’obligation non plus sur les contenus. Il s’agit avant tout d’une transformation des modèles d’affaire et d’une prise en compte des impacts des politiques sociale et environnementale des entreprises. 
 
MCG : 
Un bilan extra-financier, est-ce qu’on sait à quoi ça va ressembler ? 
 
LT : 
Pour l’instant, il existe plusieurs guides ou modèles pour aider les entreprises à faire leur rapport extra-financier. Les entreprises ont une liberté dans la forme et le choix des indicateurs à renseigner pour faire état de leurs impacts environnementaux et sociaux. Mais on peut anticiper sur, à terme, une forme d’harmonisation à l’échelle des filières et secteurs économiques. 
 
MCG : 
Quid des bilans carbone ? 
 
LT : 
Le double bilan carbone est obligatoire et conditionne, depuis le 1er janvier, l’obtention des aides à la production du CNC pour les oeuvres en prise de vue réelle. Les bilans carbone ont vocation à être intégrés dans le référentiel Afnor, dont l’intérêt est qu’il couvre un champ beaucoup plus large que le seul Co2, et renvoie aux limites planétaires et aux questions d’inclusion, de diversité et de respect de la personne humaine.  
 
MCG : 
Y aura-t-il un jour un sytème de bonus-malus sur le bilan carbone pour les productions ?
 
LT : 
Je suis très dubitative par rapport à ça parce qu’on est sur une économie de prototype. Quoi qu’il arrive, ça ne sera jamais simple de comparer deux oeuvres, même dans un genre et un format similaires. Mais on peut imaginer être dans une logique de trajectoire tendancielle de baisse sur des critères qui restent à définir avec les professionnels. En 2025, nous disposerons d’une année de bilans carbone et nous pourrons objectiver les premiers résultats. Les leviers d’action restent à trouver. Les pistes sont nombreuses et ouvertes, mais l’objectif est de permettre aux professionnels de continuer à créer dans les meilleures conditions, les plus durables et responsables possibles. 
 
Propos recueillis par Julien Tricard pour le Media Club Green